Dans mon message adressé à la précédente session du Conseil National tenue le mois de mars dernier, je vous invitais à la préparation et à l’organisation de la Conférence Nationale d’Evaluation du parti.
Dans ce message, je tentais de vous faire partager mes questionnements et vous indiquer quelques pistes de réflexion ; je me promettais également de vous transmettre mes propositions concernant cette conférence à laquelle j’attache une importance décisive.
Avant d’entrer dans le détail de ces propositions, permettez moi de faire un détour ou un retour sur les aspects politiques de la situation dans le pays ainsi que dans le parti ; non par coquetterie intellectuelle, mais parce que je voudrais vous alerter, vous inviter à la vigilance et dénoncer l’exploitation faite de certains événements de l’actualité politique nationale.
D’aucuns essayent de mobiliser sur des thèmes à caractère religieux, régionalistes et même ethniques. Ils poussent à une surenchère régionaliste, tout particulièrement en Kabylie, pendant que d’autres instrumentalisent l’extrémisme armé à des fins politiques surtout dans la région du Sahel.
Ces menées aventureuses, ces politiques de hasard procèdent d’une même approche stratégique qui met en péril l’unité et la cohésion du pays. Un éclatement qui serait parfaitement conforme au remodelage des Etats, pensé et voulu par les plus puissants ; surtout quand l’Etat est fragilisé et le pouvoir illégitime.
Les pouvoirs illégitimes, même s’ils auraient des velléités de résistance à ce mouvement, sont incapables de faire face ; ils n’ont d’autre choix que de se soumettre et de soumettre leur société par la violence.
Je réaffirme avec force que les Algériennes et les Algériens ont mené une guerre de libération exemplaire qui a marqué l’histoire des peuples colonisés ; c’est bien la preuve qu’ils étaient une Nation jouissant d’une profondeur historique. Si les femmes et les hommes de notre pays ont refusé l’abdication et la soumission devant une des plus grandes puissances coloniales, non seulement sur toute l’étendue du territoire mais aussi en France, c’est qu’ils formaient un peuple uni et solidaire. Un grand peuple pour un grand pays. Les apprentis sorciers qui se livrent à ces surenchères oscillent tous entre le délire individuel et la dérive collective.
Ne perdons pas de vue que l’actualité internationale montre que ces dérives politiques se situent, à tous les coups, en amont ou en aval de violations massives des droits de l’homme, de génocides, de crimes contre l’Humanité et de guerres civiles fratricides.
Ni pureté religieuse, ni pureté ethnique et ni pureté idéologique, ne peuvent constituer un projet politique viable.
Il n’appartient pas à un homme ou un parti politique conséquent de réaliser les fantasmes qu’ils soient individuels ou collectifs.
Depuis l’indépendance, nous faisons face au même régime qui mène les mêmes politiques. Depuis le coup d’Etat de janvier 1992, l’histoire balbutie en Algérie. Le pays est malade du vide politique voulu et organisé et de l’absence de gouvernants légitimes. C’est le facteur principal d’instabilité dans le pays.
Chers compatriotes
Mes amis
Demain sera aussi la conséquence et les résultats de nos actes d’aujourd’hui.
Je sais que c’est presqu’un miracle que le peuple algérien ait survécu à ce siècle. C’est presque un miracle que chaque enfant, chaque femme et chaque homme continue malgré tout, à faire face à un quotidien terrible.
Je n’ignore rien de vos meurtrissures, de vos blessures, de vos doutes mais aussi de vos espérances. Mais je connais la force, sans cesse renouvelée qui porte ce peuple à se dépasser. Je connais ses fureurs de vivre, de travailler, de voyager et de lutter.
Je n’oublie à aucun moment que certains ont choisi délibérément la vacance de la démocratie dans le pays. Alors me direz vous : à quoi sert un parti politique dans cet environnement mortifère et hostile ; dans un Etat d’urgence permanent.
Je vous répondrai : Il y a toujours quelque chose à faire pour un peuple, un parti ou des hommes qui ont choisi la construction, la formation et la proposition politiques.
Je vous répondrai : C’est à faire et nous le ferons !
Je vous répondrai : Nous le ferons ensemble, nous le ferons avec tous ceux qui refusent de se soumettre ou de se résigner ; j’ajouterai qu’aux horizons bouchés d’aujourd’hui, il est non seulement de notre devoir mais aussi à notre portée de faire face en traçant des perspectives d’avenir.
Nous voulons nous montrer dignes de ceux qui nous ont précédés et des générations futures. Notre parti s’inscrit dans la continuité historique du mouvement national et constitue un maillon important, un relais dans la chaine des luttes d’émancipation menées par les Algériennes et les Algériens. Nous avons d’abord besoin de débattre et de réfléchir.
Oui nous avons besoin de débattre en toute liberté de nos problèmes, de rejeter tous les conservatismes y compris ceux qui ont cours dans notre parti. Nous devons privilégier l’analyse politique et rigoureuse des faits pour échapper à l’intoxication de l’espace public. C’est le seul moyen de respirer, en phase avec notre société, c’est le moyen d’empêcher que les uns et les autres « décident de nos têtes au dessus de nos têtes ».
Nous avons notre projet, nous savons ce que nous voulons, nous avons la conviction profonde qu’un débat élargi s’impose pour répondre en toute lucidité et en toute cohérence aux exigences et défis de la situation.
Oui nous nous devons d’adapter et d’actualiser l’organisation de notre parti à la fois pour organiser ce débat et pour renouveler notre stratégie.
Après le pourquoi, le comment faire pour tenir une conférence nationale d’évaluation crédible.
Je vous propose les thématiques de débat qui m’apparaissent essentielles.
A quoi sert une organisation politique dans un contexte de fermeture brutale de l’espace public ?
Peut-on continuer à considérer possible une voie légale et pacifique vers la démocratie ? Quels types d’actions concrètes dans l’environnement actuel
Alternances claniques ou alternatives politiques ; quel contrat politique pour le pays.
Le débat sur l’économie peut-il ou pas échapper aux conditions qui perturbent les autres champs de la connaissance, en premier lieu l’opacité ?
1.Quel est le processus de la prise de décision économique ?
2.Nos statistiques sont-elles fiables ?
3.Quel bilan économique et quelles propositions ?
4.La question sociale : inégalités et injustices. Pour un Etat juste, responsable et comptable aux Algériennes et algériens
5.Les mécanismes d’alerte et de contrôle
Dans une société au développement politique insuffisant l’absence de rente induit-elle des comportements plus rationnels et moins maffieux ? Les richesses naturelles induisent-elles systématiquement une situation de rente ?
Il me parait aller de soi que pour l’éthique et l’efficacité, cette évaluation doit répondre aux critères de transparence et de liberté. Les objectifs assignés et les résultats attendus dépassent le cadre partisan étroit. C’est pourquoi je vous recommande principalement que la commission d’organisation de la conférence travaille en toute liberté et indépendance ; notamment vis-à-vis des instances exécutives du parti. Ces instances apporteront l’appui et les moyens nécessaires à la réussite de la conférence d’évaluation.
Je me propose de transmettre au Premier secrétaire, dans les prochains jours, la composition de cette commission.
Tout en vous soumettant pour discussions, enrichissement et adoption ces propositions, je vous salue chaleureusement.

Pourquoi l’omerta sur la Françalgérie ?
Hocine Aït-Ahmed, 28 juin 2004*
Il me revient, je crois, d’expliquer pourquoi un État peut massacrer 200 000 person-nes, affamer la moitié de sa population alors qu’il est assis sur un baril de pétrole et inspirer à l’occasion quelques bombes dans ce qui fut son ancienne métropole. Le tout sans que cela ne dérange personne et sans en subir aucune conséquence.
Le temps qui m’est imparti étant court et l’affaire complexe, j’essaierai d’aller à l’essentiel. L’Algérie a vécu schématiquement trois drames. Et chacun a contribué à rendre l’Algérie un peu plus taboue au sein de la communauté internationale. Jusqu’à arriver à la situation actuelle : un consensus général pour fermer totalement les yeux sans la moindre gêne sur le sort des Algériens.
Premier drame : la guerre de libération
Elle a été atroce, on le sait. Quarante ans après l’indépendance, la France n’a tou-jours pas réussi à passer d’un vague regret à un repentir conséquent, seul gage d’une réconciliation saine. Du coup, les séquelles de cette guerre hantent toujours les rapports entre les deux pays. Problèmes politiques, psychologiques, réels ou instrumentalisés : tout a été fait pour que les rapports franco-algériens soient englués dans un pathos où se mêlent la culpabilité, les vieux réseaux sentimentaux et pécuniaires de la « Françalgérie ».
C’est exactement ce qu’il fallait pour instaurer un début d’omerta sur notre pays et pour que les « amis de l’Algérie » tolèrent chez nous des atteintes aux droits de l’homme qu’ils ne toléreraient ni chez eux ni ailleurs. Et je pense là très précisément à l’assassinat d’Ali André Mécili en avril 1987 à Paris. Ce n’était pas seulement l’exécution d’un opposant politique. Ce n’était pas seulement le meurtre de mon com-pagnon le plus cher. Ce n’était pas seulement la volonté de priver l’opposition algé-rienne d’une indispensable relève de génération.
C’était un acte fondateur de la complicité de deux services de sécurité. Cet acte fondateur a scellé cette « première » omerta, produit d’une guerre de libération non assumée et de quelques « services » rendus par Alger au Liban ou ailleurs à ses « amis » français de la DST.
Le peuple algérien en a payé directement le prix en octobre 1988 : pas un mot, pas un reproche pour les centaines de jeunes fauchés alors à la mitrailleuse lourde. C’est ce silence qui a donné aux généraux l’impression qu’ils pouvaient tout se permettre dans l’impunité absolue et qui a entraîné les violences qui ont conduit, inexorablement, à notre deuxième drame.
Deuxième drame : la guerre contre les civils de la décennie 1990
Le pouvoir algérien a cyniquement joué sur les peurs et les fantasmes face au danger islamiste. Le message était clair : « Mieux vaut des généraux corrompus qu’Ali Benhadj au pouvoir. » La France l’a reçu cinq sur cinq. Et tant pis si c’était loin de correspondre à la situation ! Mais ces signaux avaient, il est vrai, de quoi séduire… et dissuader : pétrole, gaz et… menace grossièrement exprimée d’exporter la guerre en France.
Cette menace est d’ailleurs devenue concrète quand la guerre civile a pris une trop sale tournure. Et que l’opposition a eu le mauvais goût de se réunir à Rome en 1995 pour tenter d’arrêter le massacre. On se souvient du détournement de l’Airbus, de l’assassinat des moines, des attentats sanglants à Paris : la France a payé un lourd tribut pour les velléités de prise de distance que les généraux lui prêtaient.
Elle n’a pourtant rien entendu, fait comme si de rien n’était, ravalé son exaspération face aux manipulations d’Alger et gardé bouche cousue. Seul un Premier ministre nommé Lionel Jospin aura osé formuler publiquement ce chantage aux attentats en affirmant que la parole de la France était « contrainte ». Incroyable aveu, certes. Mais cette lucidité n’a pas empêché que Paris devienne la gardienne du temple, la bouée de sauvetage d’un régime totalement coupé de la population.
Je n’en citerai que deux exemples : son activisme auprès de l’Europe afin d’empêcher toute conditionnalité politique à la renégociation de la dette au milieu des années 1990 et ses efforts pour combattre toute idée de commission internationale d’enquête sur les massacres. Des massacres qui, il faut le rappeler, ont eu lieu aux portes d’Alger et au cœur de la zone la plus sécurisée du pays avec le Sud pétrolier.
Huit ans après, toutes les informations disponibles sur l’implication directe ou indirecte du DRS dans l’assassinat de sept malheureux religieux français ébranlent aussi peu Paris que les révélations en cascade sur les manipulations des groupes islamistes armés par le même DRS.
Troisième drame : le 11 septembre 2001
Il ne manquait plus qu’un troisième drame pour étouffer totalement la voix des Algériennes et Algériens, bénir la « normalisation » autoritaire et plomber définitivement l’avenir du pays : c’est le 11 septembre 2001.
Dix ans durant, la junte algérienne n’avait jamais soupçonné l’existence de liens entre Al-Qaïda et les groupes intégristes algériens. Le 12 septembre, ces liens sont miraculeusement devenus évidents. Et ils ont permis aux « décideurs » de réussir un formidable tour de passe-passe : transformer une atroce guerre contre les civils en premier affrontement contre le terrorisme international. Les généraux en ont retiré plusieurs avantages :
1) culpabiliser non seulement la France, mais toute la communauté internationale de les avoir « abandonnés dans une lutte pourtant pionnière » ;
2) redorer leur blason et, plus encore, se présenter désormais comme les techniciens les plus expérimentés de la guerre antiterroriste. Les temps changent : une décennie auparavant, ils préféraient se présenter comme les médiateurs les plus crédibles auprès des terroristes-preneurs d’otages du Moyen-Orient ;
3) cela leur a permis enfin de se prévaloir d’être désormais le seul État fort de la région, le seul capable de maintenir l’ordre et la stabilité dans tout le nord de l’Afrique et de devenir un partenaire privilégié de l’Otan.
Les Américains aujourd’hui, comme la France hier et aujourd’hui, ont « acheté » d’autant plus ce « discours » que l’Eldorado pétrolier et gazier algérien devient incontournable par ces temps de turbulence au Proche et Moyen-Orient. La boucle est ainsi bouclée : pour des raisons différentes et une concurrence désormais affichée, la France et les États-Unis convergent au moins sur un point : depuis le 11 septembre, le régime algérien est intouchable et notre pays semble voué à être une exception à jamais.
La France, garante du statu quo autoritaire en Algérie
Que dire d’autre ? Que je parviens mal à oublier mes rêves et mon combat pour un État algérien souverain et indépendant. Et que je suis convaincu qu’il ne le sera que lorsque la France sera consciente qu’elle est prise en otage par un régime qu’elle soutient comme gage de stabilité, alors qu’il génère seulement violences et dislocation de notre société. Oserai-je suggérer haut et fort que la France sorte de ce piège et réclame son indépendance de l’Algérie ?
Au-delà de la boutade, ce refus obstiné de prendre en compte la tragédie de tout un peuple s’inscrit, je dois le dire, dans un positionnement français plus global. La France apparaît aujourd’hui comme le meilleur garant du statu quo autoritaire dans mon pays, mais aussi dans la plupart des pays du monde arabe.
La prétention de George W. Bush à imposer un « Grand Moyen-Orient » en pleine occupation de l’Irak et abandon de la Palestine a, certes, quelque chose de surréaliste. Mais que penser de l’amendement principal qui a conduit le gouvernement français à tempérer son opposition radicale à ce « Grand Moyen-Orient » lors du dernier G8 ? Quelle modification les Français ont-ils obtenue ? Que le projet américain ne fasse plus état de l’aide aux oppositions et aux sociétés civiles de la région, arguant qu’il fallait travailler essentiellement avec les États. Un discours qui rappelle étrangement celui de nos dictateurs.
Du coup, qui expliquera au pauvre indigène que je suis la contradiction suivante : comment les dirigeants français peuvent-ils répéter, en faisant mine bien sûr de s’en désoler, qu’il n’existe pas d’alternative politique en Algérie, tout en refusant qu’on encourage l’opposition et la société civile ? Qui expliquera aux indigènes que nous sommes un autre tour de passe-passe : pourquoi, au plus fort de la sale guerre, une « société civile » autoproclamée et coupée du peuple était encensée et pourquoi il n’est plus de bon ton aujourd’hui de favoriser son émergence ?
Qui m’expliquera enfin comment les ex-pays de l’Est auraient pu bénéficier, après la chute du Mur de Berlin, de l’avènement de nouvelles élites démocratiques, si celles-ci n’avaient pas été aidées et encouragées quand elles développaient leurs dissidences contre les systèmes staliniens ?
Et qu’on ne nous dise pas qu’il s’agit seulement d’un communiqué au G8 ou ailleurs. Dans les faits, l’Europe « couvre » bel et bien le refus obsessionnel d’Alger de tolérer la moindre organisation autonome de la société. Qui à l’Union européenne, ou en France, a protesté quand les autorités algériennes ont enterré un plan européen pour recaser 100 000 déplacés de la sale guerre, alors que l’Algérie, avec 1,5 million de déplacés, détient un triste record ? L’omerta s’exerce aussi désormais dans le domaine social.
Cette omerta conjuguée des grands pays occidentaux a, il va sans dire, de terribles conséquences pour mon pays, comme pour la région. La volonté — légitime — de la France de normaliser ses rapports avec l’Algérie retarde en effet toute ouverture à force de trop se confondre avec un soutien inconditionnel au régime. Ce soutien encourage à l’intransigeance un pouvoir déjà assuré de l’impunité. Jamais peut-être la situation politique n’a été aussi bloquée. Le maintien de l’état d’urgence justifie un réel verrouillage des libertés d’expression et de participation.
L’Algérie, dans ce contexte, ne pourra pas devenir un partenaire sérieux pour demain : elle continuera à être une poudrière où les extrémismes religieux et ethnicistes se combinent à une paupérisation galopante pour créer une culture de l’émeute, dans un pays qui se targue d’excédents budgétaires et de réserves en devises faramineuses. Est-il utile de dire que c’est la pire manière de faire face à la généralisation, de par le monde, des intégrismes et des nationalismes étriqués ? Et, partant, d’un engrenage de guerres civiles dans le monde musulman.
* Intervention de Hocine Aït-Ahmed, président du FFS, le 28 juin 2004 lors de la conférence-débat « La “Françalgérie”, tabou de la République française », organisée à l’Assemblée nationale française à l’initiative du député Vert Noël Mamère et des Éditions La Découverte (<www.editionsladecouverte.fr>), avec le soutien de : AIRCRIGE <http://clevybosio.free.fr/aircrige>, Algeria-Watch (<www.algeria-watch.org), Cedetim (<www.cedetim.org/>), Survie (<www.survie-france.org/>).
Hocine Aït Ahmed : "L’Algérie se disloque"
Voici le message de Hocine Aït Ahmed au Conseil national du FFS
Chers camarades,
Nous faisons face à un pouvoir qui empêche toujours le peuple algérien de s’exprimer librement ; à un pouvoir déterminé à briser toute opposition et tout opposant ; un pouvoir qui n’a d’autre alternative que d’aggraver la répression ou de disparaître politiquement.
En dépit de toutes les crises qui se succèdent, se chevauchent et secouent le pouvoir, l’opposition peine à reprendre l’initiative politique.
Autour de nous, les Algériennes et les Algériens vivent dans la précarité morale et sociale. Même les espérances qu’ils avaient placées dans la conscience internationale, comme remparts et garanties de la liberté et de la démocratie sont en train de s’effondrer.
La gestion de hasard menée pendant des décennies a fini par installer la violence au cœur des institutions et des rapports sociaux. Elle bloque toute évolution et toute réforme. Elle nous maintient dans l’archaïsme et compromet sérieusement l’avenir du pays. Seuls ont droit de cité les rapports de force nue.
Aujourd’hui, l’expérimentation sociale, la gestion pacifique de conflits, les médiations sociales et politiques sont quasiment impossibles.
Chers camarades, Nous sommes des militants, nous restons fidèles à nos engagements primordiaux. Nous ne devons ni capituler, ni abdiquer. Il n’y a pas de fatalité historique et les issues existent.
Nous avons besoin d’évaluer rigoureusement les capacités d’intervention de notre parti, tant au plan national qu’international pour tracer les chemins du changement.
Dans cet esprit, j’aimerai vous faire partager mes questionnements et vous proposer quelques pistes de réflexion.
Dans le contexte actuel de crise mondiale durable et de redéfinition des relations internationales, les initiatives d’appui aux transitions démocratiques restent timorées et ne constituent plus une priorité. Le plus souvent, elles se cantonnent dans des discours et des professions de foi.
La violence et la menace constante du recours à la force réapparaissent comme les composantes fondamentales du nouveau système pan-étatique des relations internationales. Les puissances en mesure d’influer où d’influencer les régimes autoritaires, observent une attitude floue et donnent une impression de valse hésitation.
Au mépris des idéaux et des valeurs qu’elles proclament, au mépris des valeurs qui fondent la communauté des nations, elles préfèrent délibérément continuer de soutenir et de protéger ces régimes.
Les efforts méritoires des organisations non gouvernementales ne sont pas en mesure de renverser cette tendance lourde, en l’absence d’une véritable Société Civile Internationale.
Notre pays est emblématique de cette attitude troublante pour ne pas dire équivoque. Victime d’enjeux et d’équilibres géopolitiques régionaux voire mondiaux, il devient la profondeur stratégique des uns et le point d’appui des autres.
Comment expliquer autrement le silence, la bienveillance voire la complaisance envers un régime qui ne peut pas moderniser, stabiliser et encore moins démocratiser le pays ; un régime qui a une responsabilité écrasante dans les désastres que nous avons vécus et qui, circonstance aggravante, constitue, par ses options, un facteur potentiel de déstabilisation régionale.
Rien de ce qui se passe dans l’un des pays du Maghreb n’est sans conséquence sur les autres. La contagion est la règle. Le passé proche et lointain en témoigne, la communauté de destin qui lie nos pays n’est pas une simple vue de l’esprit.
Chers amis, La situation actuelle de notre pays est la résultante de la conjonction de la situation internationale et de la crise interne qui perdure.
La vie publique est en voie d’extinction ; les espaces publics se rétrécissent en peau de chagrin ; aucune place n’est laissée à une expression libre de la société, encore moins à son organisation. Il n’y a pas d’élections libres, il y a crise de légitimité et de représentation politique et sociale. Ne demeure plus qu’une gangue institutionnelle. La répression et la corruption sont le seul ciment de l’Etat.
Les institutions, la sphère médiatique et l’essentiel des organisations politiques, associatives et syndicales sont dévoyées de leurs missions et responsabilités, réduites à n’être qu’un outil de contrôle et de corruption politique et sociale.
Chers compatriotes, Sommes-nous des alarmistes ? Sommes-nous des alarmés ?
Sommes-nous des semeurs d’angoisse ou faisons-nous preuve de lucidité à un moment critique de notre histoire ?
Quel avenir pour notre pays ?
Pouvons-nous espérer un avenir d’équité, de justice, de libertés et de dignité ?
Réussirons-nous à sauver ce qui peut encore l’être ?
Chers camarades, chers militants, Quel avenir pour notre parti ? Face à nous, un pouvoir liberticide foncièrement opposé au pluralisme et aux Droits humains, qui ne tolère de partis que soumis ou sans ancrage social véritable. Autour de nous, la société se déstructure et se disloque de jour en jour. Les femmes et les hommes de ce pays ne savent plus, peut-être ne veulent plus et en tous cas ne peuvent plus, faire de la politique.
Nous sommes porteurs d’alternatives politiques et sociales. Mais quelle est l’efficience de notre parti ? De quelles capacités d’intervention disposons-nous dans la société et dans les institutions ?
Au-delà des utopies mobilisatrices et de la radicalité de nos positions, avons-nous réussi à faire barrage à la restauration de la dictature ?
Nos appels aux dialogues, nos mises en garde, nos initiatives, nos contrats et nos campagnes politiques ont-ils eu les résultats escomptés ?
Nous avons des ambitions pour le pays et voulons un changement radical et pacifique. Nous ne pouvons nous suffire de déconstruire le discours du régime, dévoiler ses manipulations, ses complots et ses mystifications.
Se préserver, survivre pour survivre n’est pas l’ambition de notre parti ; ce n’est pas une option viable !
Ne devons-nous pas redéfinir notre planning stratégique ? Nos instruments de navigation politique. ?
Nous ne sommes pas des guezanates ni des chouwafates. Notre projet n’est pas de prédire l’avenir, ni d’élaborer des scénarios stratégiques sophistiqués.
Ce que nous voulons, ce à quoi je vous invite c’est de préciser les tâches à accomplir et le pourquoi de ces tâches. C’est de donner pour chacune de nos activités, des objectifs et de définir la stratégie pour les atteindre.
Chers amis, Nous abordons une étape nouvelle :
Dans le monde, des transformations sont à l’œuvre, et il est encore trop tôt pour en mesurer l’ampleur et les implications .
Dans le pays, nous devons desserrer l’étau et nous libérer de l’étreinte d’un pouvoir qui cherche à nous étouffer .
Dans le parti, nous devons revisiter nos perspectives, nos stratégies et nos modes d’organisation.
La Conférence Nationale d’Evaluation Démocratique et Transparente, telle que prévue par nos statuts, est l’occasion idoine pour faire le point. L’opportunité de trouver les moyens de travailler plus intelligemment, plus lucidement et plus efficacement. Je me propose de vous transmettre un projet d’évaluation à la prochaine session du Conseil national.
D’évidence, la priorité stratégique est à la bonne préparation et à la tenue de cette échéance. J’estime que l’efficacité et la cohérence politique rendent inopportun le changement du Premier secrétaire. A lui d’envisager et d’apporter les aménagements nécessaires dans la composition du Secrétariat national.
Chers camarades, Pour terminer, je voudrai vous rendre un hommage chaleureux, à vous toutes et à vous tous, militantes et militants. Je suis fier de travailler avec les différents responsables du parti, notamment les membres du Secrétariat national, qui, dans des conditions extrêmes, investissent beaucoup d’eux-mêmes au service de notre parti et de notre pays. La véritable élite politique est celle qui résiste au souci de soi.
*Président du FFS
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